Nous pouvons faire le constat que notre monde est rempli de violence et que nous éprouvons des difficultés à vivre paisiblement. L’homme a en lui une dose de violence qui prend malheureusement souvent le dessus… Comment cela se fait-il ?
Dans cet article, nous allons partir de l’hypothèse qu’une grande partie de cette violence est liée à la peur de ne pas « exister » et que cela peut expliquer en partie le mécanisme du bouc-émissaire.
Pour illustrer cela, prenons un exemple bien concret : si on met 2 jeunes enfants dans une pièce avec uniquement 2 jouets, exactement les mêmes ; Que va-t-il se passer ? Après un petit temps d’observation, on peut constater que chacun des 2 enfants va vouloir jouer avec le même jouet et que cela va se terminer inévitablement dans des pleurs et des cris…
Ces deux enfants expriment à leur manière un problème fondamental auquel nous sommes tous confrontés : en chacun de nous, existe confusément mais ontologiquement la peur de ne pas être. Cette peur est ontologique car elle est constitutive de ce que nous sommes. Elle se situe au plus profond de notre être. Pour avoir l’impression d’avoir une place et d’exister, on va vouloir posséder ce que l’autre a.
Quand le premier enfant a saisi un des deux jouets, le deuxième a perçu confusément ceci :
- L’autre a un objet, il possède cet objet.
- L’autre EST puisqu’il a ce que moi je n’ai pas. Il existe
- Si je veux ÊTRE moi aussi, je dois avoir le jouet qu’il a
- Donc, je dois avoir ce qu’il a, comme cela, moi aussi, je serai…
Cela peut paraître simpliste, mais ce mécanisme, cette peur de ne pas être est ancrée en chacun de nous : peur de ne pas être considéré, peur de ne pas être regardé, peur de ne pas être apprécié, peur de perdre, … Toutes des peurs qui font partie de cette peur plus générale qui est la peur de ne pas être et qui amène beaucoup de souffrance. La majorité de nos blessures viennent de là et se manifestent quand on a l’impression de ne pas avoir de place, qu’on ne nous écoute pas, qu’on ne tient pas compte de notre avis ou qu’on vaut moins que les autres. On vit cela partout et à tous les niveaux : dans notre famille, avec son conjoint et/ou ses enfants, au travail, avec des amis, etc.
Une solution à cette peur « de ne pas être » = avoir, pour mieux exister[1]
Face à cette « pauvreté d’être », on va chercher à imiter les autres. On va chercher à AVOIR la même chose qu’eux afin d’être « reconnu ». On rentre dans du désir mimétique, comme l’exprime R. Girard : ce qui compte, ce n’est pas tant l’objet qui est désiré mais plutôt le fait d’imiter le désir d’un autre. Tout désir est vu alors comme l’imitation du désir d’un autre.
Et c’est ainsi qu’on va essayer que notre maison soit plus belle que celle de notre voisin; on va essayer d’avoir une plus belle voiture, un job où on gagne plus d’argent, un GSM plus performant, la femme de l’autre, etc.
De TOUS CONTRE TOUS, on passe à TOUS CONTRE UN
Et si deux individus désirent la même chose, il est certain qu’il y en aura bientôt un troisième, un quatrième, … qui voudront également la même chose. Nous percevons facilement la violence qui peut alors s’installer, alors que l’objet en lui-même est vite oublié. Les rivalités mimétiques se propagent, et le conflit mimétique se transforme en antagonisme généralisé où apparaît la jalousie, l’envie, la haine.
Nous arrivons donc à une situation du « TOUS CONTRE TOUS » où chacun s’oppose à chacun pour pouvoir affirmer son existence! Cette situation n’est tolérable ni acceptable pour personne, même pour le plus fort car on n’est jamais sûr de rester le plus fort et on a quand même besoin des autres. Ce n’est pas possible de vivre dans une violence perpétuelle non canalisée.
Alors LA solution naturelle au « tous contre tous », c’est le « tous contre un ». C’est la seule solution qui existe pour que la paix revienne. Sans cela, c’est la destruction du groupe !
Le mécanisme du bouc-émissaire
Si dans un groupe, dans la société, je peux charger une personne unique de tous les maux et l’exclure, si je peux convaincre les autres que tous nos problèmes viennent de cette seule personne, la violence va se réduire car le groupe va s’unir autour de cette personne.
Ce mécanisme du bouc-émissaire est un mythe fondateur de notre façon de penser et d’agir! Faire porter par une seule personne la cause de tous nos soucis est une façon de faire que nous utilisons tout le temps :
- Bart De Wever n’est-il pas la cause de tous les problèmes flamands/francophones ?
- « Si Dieu existait, il n’y aurait pas tant de misère dans le monde !»
- Si nous avons tant de problèmes dans notre famille, n’est-ce pas à cause de tel enfant qui est insupportable et qui vit une crise d’adolescence qui fout en l’air toute la famille ?
- Si l’ambiance au travail est si mauvaise, n’est-ce pas à cause de mon patron qui est un véritable tyran et qui nous fait bosser comme des malades?
- Si je ne me sens pas heureuse, c’est à cause de mon conjoint qui travaille comme un fou et qui fait que je dois tout porter toute seule et que je n’en peux plus.
Trouver un bouc-émissaire est une solution assez efficace car cela va permettre de retrouver la paix, de réunir le groupe, de recréer de la cohésion sociale. Chacun peut à nouveau exister dans le groupe, y trouver une place. De plus, comme cela semble résoudre le problème, n’est-ce pas la preuve que la personne désignée était bien la responsable de tous nos problèmes ???
Et bien NON ! Cette solution est insatisfaisante car le bouc émissaire n’est pas le responsable de tous les maux… Il n’est pas responsable de ma difficulté à EXISTER, de mon désir d’imiter le désir de l’autre. Cette solution est donc temporaire: au bout d’un certain temps, les problèmes vont revenir et il faudra donc choisir une nouvelle victime !
Chacun va avoir peur de devenir le bouc émissaire. Du coup, chacun va rentrer dans le rang, pour éviter d’être identifié comme source des maux de la communauté. Au lieu de supprimer cette peur de ne pas être, la solution du bouc émissaire va juste « renforcer » chacun à accepter de ne pas être, ou de ne pas « être » de trop, de peur qu’en réclamant d’être on ne devienne… bouc émissaire ! Le problème de base reste donc entier.
Nos ados illustrent parfaitement tout cela, bien sûr. Ils vivent dans la peur de l’exclusion et pour ÊTRE, ils se fondent dans la masse, s’habillant de la même façon, écoutant la même musique, jouant aux mêmes jeux vidéo, etc.
Comment sortir de ce mécanisme ?
Une première chose est bien sûr, de se rendre compte de tout cela, de réaliser notre soif d’exister et notre besoin d’avoir une place ! Il nous faut également prendre conscience que nos blessures (d’enfance en particulier) accentuent cette peur de « ne pas être », ainsi que celle de ne pas oser être pleinement soi-même par peur de devenir bouc-émissaire.
Quelques petits trucs concrets peuvent nous aider :
- Se sourire chaque matin dans la glace et essayer de se dire 3 choses positives ou qualités ;
- Quand je me sens blessé, humilié, triste ; quand je sens un mauvais sentiment de revanche, de mépris, de haine, de volonté de blesser monter en moi, je peux accueillir cela et repenser aux 3 choses positives du matin ;
- Ne pas avoir peur d’oser dire ce que je pense, oser formuler mes attentes. Oser affronter un refus, ne pas craindre un heurt, en parlant en « je » et de ce qui m’habite ;
Lydia Dessain
Conseillère conjugale et familiale et Thérapeute systémicienne. Je reçois à Court-St-Etienne (Brabant Wallon), Namur et Bruxelles
0496/21.21.30
[1] Théorie développée par René Girard « Le bouc émissaire »